Du bon usage du mot Piraterie
Par Antoine Bouteilly (blogototo) : Faute de frappe et épouvantail... Cette quasi-insignifiante utilisation du terme " piratage " trahit une victoire du lobbying des ayant droits.
" En droit, il faut qua-li-fier des faits ". C'est ce qu'un chargé de TD de fac de Droit essaye de faire entrer dans le crâne de nos chères " têtes blondes " (... il est vrai décolorées, peroxydées, ou parce qu'avec le mélange miel-colle à bois, les royal dread locks prennent une teinte blonde).

La qualification juridique est d'une importance primordiale, que ce soit dans le cadre d'un contentieux, la rédaction d'un contrat et, a fortiori la rédaction d'une Loi. Alors quand vient se glisser une énorme faute de qualification dans un texte à valeur légale, on est en droit de se poser des questions. Faute de frappe, ou déqualification volontaire ?

" Le fait de s'emparer ou de prendre le contrôle par violence ou menace de violence d'un aéronef, d'un navire ou de tout autre moyen de transport à bord desquels des personnes ont pris place, ainsi que d'une plate-forme fixe située sur le plateau continental, est puni de vingt ans de réclusion criminelle ". Voici reproduit l'article 224-6 du code pénal. Comme tout texte pénal il est d'interprétation stricte. Il est donc sensé limiter le champ d'application et surtout de qualification du délit ou crime qu'il réglemente. Et quel crime encadre t'il, ce bel article ? Je vous le donne Emile, la PIRATERIE. Cela correspond en effet aux flashs qui se produisent dans ma petite tête pleine d'eau lorsque je ferme les yeux et que je pense à un pirate. Je vois d'abord le capitaine Crochet, puis le chef des pirates dans Astérix avec son oeil bandé, et je vois ensuite un terroriste du 11 septembre en train de détourner un avion pour aller le faire s'écraser devant les caméras en tuant le plus d'innocents possibles. Voilà ce que sont pour moi les pirates.

Une seconde utilisation de ce terme a été introduite dans la législation française. On a en effet parlé de " pirate informatique " pour dénommer les personnes responsables notamment du " fait d'accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données " (article 323-1 et suivant du code pénal).

Cette réutilisation du terme " pirate " peut éventuellement se comprendre. On s'imagine en effet une personne " s'emparant du contrôle par violence " d'un ordinateur ou d'un système informatique (en brisant les barrières de sécurité informatique... ça ne fait pas couler beaucoup de sang, mais sans doute quelques larmes au créateur du code qui s'est fait casser en quelques minutes par un ado pré pubère souhaitant se prouver qu'il est un voyou ou un génie de l'informatique). On n'est donc pas trop éloigné du pirate borgne d'Astérix, même si la notion de violence est moins évidente, et qu'à défaut de prise de contrôle, le pirate informatique peut se contenter d'entrer sur la pointe des pieds dans un système et d'observer, d'espionner.

Jusqu'ici l'emploi du terme " Piraterie " se limitait donc à des infractions particulièrement graves. Ce simple mot a donc un caractère effrayant, même si le pirate d'Astérix suscite dans mon esprit plus de pitié et d'amusement que d'effroi et de dégoût. Sans Goscinny et Uderzo, le mot " pirate " retentirait peut être dans mon crâne comme le font les " génocide ", " meurtrier ", " pédophile " ou " Renault Fuego kitée tuning".

Seulement voilà... ça a dérapé. Internet a amené l'information dans la maison de chacun. La musique a commencé a être échangée sur le Réseau, les gens l'ont consommé en mp3 gratuits plutôt qu'en CDs à 150 francs, et la guerre des ayant droits a été lancée. Pour ces derniers, l'utilisation d'un terme effrayant pour qualifier les pratiques de Monsieur Tout-le-Monde-Devant-son-PC était une arme de choc. Une façon de contraindre les esprits et "l'honnêteté", de mettre la pression. Ainsi j'étais aux yeux de la Loi un " contrefacteur " (c'est déjà pas beau !). Je devins aux yeux de la SACEM un " pirate " (là je suis vraiment très très vilain !!!).

Pourquoi " pirate " et pas " voleur " ? D'après moi parce que " pirate " fait plus peur. Le terme " voleur " nous fera d'abord penser aux bonbons volés chez la méchante boulangère lorsqu'on avait 8 ans, à Arsène Lupin et à Robin des Bois, avant de penser aux voleurs de voitures, aux cambrioleurs de grands-mères et aux pickpockets. D'autre part il est possible qu'un mauvais jeu de mots ait joué en faveur du choix du terme " pirate ". Une personne sur le réseau a dû trouver pertinent de parler de " peerate " vu qu'on parlait de peer-to-peer. Et paf, v'la t'y pas que de " peerautes " (utilisateur de Peer-to-peer) on est devenu " pirates ".

Quoi qu'il en soit, l'emploi de ce terme épouvantail fut sans doute d'une aide précieuse dans le cadre de la campagne de bourrage de crâ... pardon, de sensibilisation aux dangers du téléchargement illicite de fichiers musicaux. C'est vrai, on me traite d'assassin limite violeur d'enfants (c'est toujours les rapprochements que je fais dans ma tête pleine d'eau. Zètes pas forcé de faire les mêmes...), on me menace de prison... Ca fait réfléchir. Pour certains, ça suffit même à finir de convaincre qu'il faut acheter cette musique au lieu de la télécharger gratuitement. Très bien !

Mais jusque là personne n'a jamais contredit le fait qu'il s'agissait de " contrefaçon ". Cette infraction est définie par le Code de la Propriété Intellectuelle, punie par des dispositions pénales, elle a fait l'objet d'une jurisprudence fournie et elle s'adapte parfaitement au cas du téléchargement illicite de fichiers sans autorisation. Bref, ça colle.

Alors pourquoi la Loi la requalifie-t-elle ? En effet on a vu apparaître dans la LCEN (Loi n 2004-575 du 21 juin 2004) la notion de " piratage musical ". L'article 6, relatif à l'interdiction faite aux FAI de vendre du haut débit en s'appuyant sur le P2P, dispose ainsi : " Lorsque les personnes visées au 1 du I de l'article 6 invoquent, à des fins publicitaires, la possibilité qu'elles offrent de télécharger des fichiers dont elles ne sont pas les fournisseurs, elles font figurer dans cette publicité une mention facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique. "

Danger ! Paaaaaaas bon ! Cette quasi-insignifiante utilisation du terme " piratage " trahit une victoire du lobbying des ayant droits. Il consacre la diabolisation des technologies de P2P, oubliant certes que la " VoIP ", le " grid computing " ou l' " instant messaging " (et que vive la Loi Toubon...), s'appuient sur cette techno. Elle accompagne l'aggravation des peines applicables à la contrefaçon (avec la Loi Perben II de mars 2004 adaptant la justice aux évolutions de la criminalité), et inaugure même un nouveau terme. Avant on parlait de " piraterie ". Maintenant on parle de " piratage ". C'est à se demander si ce n'est pas une nouvelle infraction, avec un nouveau nom, de nouvelles sanctions (plus lourdes que celles précédemment encourues par un contrefacteur), un domaine d'application bien défini (téléchargement de fichiers via le Réseau). Bref une nouvelle incrimination qui ne dit pas son nom, faite sur mesure pour les 8 millions de voyous numériques français, basée sur la bonne vieille méthode propagandiste de la Terreur. Il est regrettable que cela n'ait pas été débattu au grand jour, et que le Législateur se soit laissé souffler les termes de la Loi par les producteurs de musique et de film. S'il avait pondu cela tout seul il aurait peut être évité de faire des fautes d'étymologie ou de syntaxe (mais que fait l'Académie Française? Appelelez Maître Capello !).

8 millions de contrefacteurs c'est déjà pas mal. Mais 8 millions de pirates ça en jette hachement plus ! Nous avons été "requalifiés" sans nous en rendre compte. Perso, j'ai rien senti...

Antoine Bouteilly

Juriste, 25 ans, stagiaire en quête de travail, Antoine tient son blog (le"Blogototo") à propos de la culture, du P2P et du logiciel libre.

Article diffusé sous licence Creative Common by-nc-nd 2.0, écrit par Guillaume Champeau pour Numerama.com

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